Matteu Andreucci, apiculteur
L’histoire de votre entreprise familiale, transmise de père en fils, est-elle emblématique d’un certain « retour aux sources et au pays » ?
J’ai choisi de m’établir dans le village de Zevaco pour perpétuer une tradition familiale, depuis plusieurs générations. L’apiculture est une composante importante de mon histoire, une passion qui a pris de l’ampleur jusqu’à aboutir au développement actuel.
La Corse rurale procure un environnement préservé, y vivre requiert de la simplicité dans les relations humaines, du respect pour cette nature et...une certaine audace entrepreneuriale ! Ce choix d'authenticité m’a conduit à exploiter mon cheptel qui me permet, à raison de 4 récoltes par an, de proposer du miel de maquis de printemps, d'automne, du miel de châtaigneraie, du miel de miellat du maquis.
Quel a été l’élément déclencheur qui vous a fait passer d’ingénieur à apiculteur ?
Je fais de l’apiculture depuis l’âge de 12 ans. Après un parcours professionnel de plus de 20 ans dans l’ingénierie, j’ai acquis une rigueur de travail que j’ai mis à profit dans mon quotidien. Ça fait aussi partie de mon ADN.
Quelle étape de votre activité préférez-vous ?
Dans le métier d’apiculteur il y a plusieurs strates, et toutes sont importantes. Il y a les abeilles, les ruches et leurs emplacements, la production, le développement des nouveaux produits, la commercialisation.
Ce qui est intéressant dans ce métier, c’est la nécessité d’agir en décryptant les données environnementales et saisonnières. Quand j’interviens sur un rucher, je dois regarder, observer, entendre ce que me disent les abeilles, écouter mon environnement, intégrer les conditions de production et les bonnes pratiques apicoles. Quand j’ai collecté toutes ces conditions et situations particulières alors le mode de travail commence à émerger et apparaît comme une évidence.
Comment fonctionne une ruche ?
Dans une ruche il y a 3 types d’individus. La reine, qui est l’élément le plus important, puisque «quand vous avez une bonne reine vous avez une bonne ruche». C’est pour cette raison que chaque année je procède à un élevage de reines.
Les ouvrières, en plus grand nombre. Elles vont chercher le pollen, le nectar, le transforment en miel avant de le stocker dans les alvéoles. Un des points-clé consiste à maintenir un niveau de population important avant les miellées.
Et puis les mâles que l’on appelle les « faux bourdons » indispensables pour la fécondation des reines. Un des mes ruchers leur est dédié, c’est le rucher de fécondation. La ruche est une société très organisée où chacun n’est rien sans l’autre.
Combien faut-il de ruches pour vivre de son exploitation ?
Le nombre de ruches est variable suivant les territoires. Sur le Continent, un minimum de 250 ruches suffit pour être professionnel et espérer en vivre. Les hivers sont plus longs, ce qui impacte directement la productivité. Un climat favorable est une spécificité Corse pour l’apiculture. La période hivernale pour les abeilles est plus courte, les récoltes sont plus nombreuses, la productivité est plus importante.
En Corse, un minimum de 125 ruches suffit pour pouvoir en vivre.
Avez-vous noté ces dernières années, une baisse de la population des abeilles endémiques corses ?
Je ne remarque pas de baisse de la population, mais une baisse de la production, que j’associe aux perturbations climatiques. Les périodes de sécheresse sont plus intenses et fréquentes, comme les épisodes pluvieux. Durant ces périodes, les abeilles consomment leurs provisions, au lieu de les constituer.
Que vous apporte concrètement l’AOP Miel de Corse ?
L’AOP « miel de Corse-Mele di Corsica » est un véritable outil. L’AOP a structuré la filière depuis 1998, si bien qu’une personne qui s’installe en apiculture peut bénéficier d’un historique de travail de plusieurs dizaines d’années.
Elle a apporté une gamme de 6 miels issus d’une végétation spontanée typique de Corse. Ce label de qualité garantit l’origine du produit, que l’apiculteur travaille avec une abeille locale et un savoir-faire local puisqu’il s’engage à respecter un cahier des charges très strict. L’AOP est partenaire également avec l’université de Corte où de nombreuses recherches sont effectuées.
Peut-on considérer le miel corse comme bio ?
Le couvert végétal de la Corse se compose principalement de maquis, une végétation spontanée, propre à ce territoire. Le relief est très montagneux et difficilement mécanisable. C’est une chance, puisque je ne suis pas touché par ces grandes cultures pourvoyeuses de pesticides comme on peut voir sur le Continent. C’est un véritable atout pour les abeilles en Corse et la qualité du produit.
Quelle est l’étendue de la gamme ?
Les miels de Corse AOP se déclinent en 6 produits distincts. Le premier est le « MIEL DE PRINTEMPS », qui se récolte en avril- mai sur des emplacements près du littoral. Il est composé principalement, d’Asphodèles, de Saules et d’agrumes en général.
Le second est le « MIEL DE MAQUIS DE PRINTEMPS », que l’on récolte de la mer à la montagne. Il est composé principalement de Bruyères arborescentes (Erica arborea), de lavandes maritimes et de Genêts.
Le troisième est le « MIEL DE CHATAIGNERAIE », avec la floraison du Châtaignier de juin à juillet mais avec toute la végétation du maquis du moment. Il se récolte au plus tard fin juillet.
Le « MIEL DE MAQUIS D'ÉTÉ », se récolte à la fin mois d’août sur des emplacements dans les hautes vallées. C’est un miel très clair composé d’Anthyllis, de thym, de ronces. Sur des emplacements près du littoral, du mois de mai à septembre on récolte le « MIEL DE MIELLATS DU MAQUIS ». Le miel est presque noir avec une viscosité plus importante et un arôme de réglisse.
En fin d’année le « MIEL DE MAQUIS D’AUTOMNE », se récolte de novembre à décembre. La végétation de fin d’année intègre l’arbousier qui va teinter ce miel d’une amertume presque pure, mais douce. C’est un miel surprenant mais qui est particulièrement apprécié des connaisseurs.
Comment voyez-vous à terme votre beau métier, et son évolution ? Comment dynamiser et diversifier le marché ?
L’apiculture est un beau métier, oui, et un rouage essentiel pour la pollinisation des espèces végétales.
Albert Einstein disait « Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre ».
Même si tout le monde est conscient de la nécessité de protéger les abeilles, les menaces et le risque de les voir disparaître sont réels. Je milite pour la sanctuarisation de ce territoire insulaire en interdisant l’entrée d’espèces végétales et animales qui portent gravement atteinte à cet environnement caractéristique de la Corse. Je diversifie mon activité avec d’autres produits (propolis, pollen, apéritifs, plantes aromatiques…) pour satisfaire ma curiosité, ma créativité, prolonger et dynamiser l’histoire du RUCHER DE SAN BIAGGIU. Mais j’ai toujours privilégié la qualité à la quantité.
Avant de nous quitter, et vous remercier pour votre accueil, une recette familiale à nous transmettre ?
Pour le pain d’épices, je vous recommande le « MIEL DE CHATAIGNERAIE », qui s’y prête particulièrement. Et pour les fins gourmets, je vous propose deux associations : Une cuillerée à soupe de « MIEL DE MAQUIS DE PRINTEMPS » ou du « MIEL DE CHATAIGNERAIE », suivant les goûts pour 250g de BROCCIU.
Ne pas mélanger, mais dessiner une coulée de miel pour la présentation. Travers de porc caramélisé au miel. Démarrer la cuisson à feu doux avec du « MIEL DE MAQUIS DE PRINTEMPS » ou du « MIEL DE MAQUIS D’AUTOMNE » puis lancer un feu vif pour caraméliser (sans brûler), juste avant de servir.