François Sisti, le dernier berger de la transhumance
L’ultimu pastori di a muntanera
À Ghisonaccia, dans la région du Fiumorbu, François Sisti incarne l'esprit de la Corse à travers son métier d’agriculteur et d’éleveur de brebis avec un cheptel de 350 brebis. Comme son père et son grand-père, il trouve son bonheur au milieu de ses brebis, particulièrement dans les montagnes où se trouve sa bergerie d’été, un lieu de convivialité où famille et amis aiment se retrouver. Bien que ses brebis aient suffisamment d’espace en plaine pour éviter la nécessité de la transhumance, François reste attaché à cette tradition ancestrale des bergers corses. Dans la région, plus aucun autre berger ne transhume.
« C’est compliqué d’être berger aujourd’hui » admet-il. Fort de son expérience de 35 ans d’activité, François maitrise le sujet : en deux décennies, la Corse a vu disparaître 20 000 brebis et 60 % de ses bergers. En 1985, l'île comptait environ 1 000 bergers ovins ; aujourd'hui, ils ne sont plus que 380. Le taux de renouvellement des troupeaux atteint un niveau alarmant, posant une menace critique pour l'avenir de cette activité traditionnelle.
François incarne la force tranquille, avec un petit sourire en coin et un discours passionné lorsqu’il s’agit de son exploitation. Il produit du fromage mais vend principalement le lait de ses brebis directement à la coopérative locale. Son expérience et son engagement sont palpables dans chaque mot, chaque geste. Rencontrer François Sisti, c’est plonger dans l'authenticité de la Corse rurale. Ses fromages, à son image, sont doux et forts à la fois, véritables reflets de sa personnalité et de son savoir-faire. Pour une immersion dans le cœur battant de la Corse, ne manquez pas l’occasion de faire sa connaissance et de déguster les produits de son exploitation.
- Quelles valeurs guidez-vous dans votre travail quotidien ?
Le respect de mes brebis et des traditions de la Corse - Comment votre philosophie personnelle se reflète-t-elle dans vos produits ?
La qualité plutôt que la quantité - Décrivez une journée typique dans votre fromagerie.
Je commence ma journée par la traite de mes brebis et ça c’est 7j/7. Puis suivant la saison, je coupe le foin, entretiens ma ferme, soigne mes brebis, et les 250 naissances par an, fais le fromage etc… - Quels sont les aspects de votre travail que vous trouvez les plus gratifiants ?
Faire perdurer une tradition ancestrale qui se perd malheureusement très rapidement. - Pouvez-vous expliquer les techniques traditionnelles que vous utilisez dans la fabrication de vos fromages ?
J’ai gardé la gestuelle de mes ancêtres. A l’affinage, je tourne et retourne le fromage, je le frotte doucement avec les mains tous les jours pour le nettoyer. - Comment intégrez-vous les innovations tout en préservant les méthodes traditionnelles ?
C’est très difficile de les intégrer car les machines et les outils sont devenus beaucoup trop chers pour pouvoir y accéder. Du coup, on fait avec ce que nous avons. - En quoi pensez-vous que votre travail contribue à la culture culinaire de la Corse ?
Le fromage corse est exceptionnel et se distingue parmi les autres. L’agneau : traditionnellement, dans chaque famille corse on mange à Pâques et à Nöel, c’est notre culture.
- Comment avez-vous vu évoluer le métier de producteur de fromage au fil des années ?
Le sanitaire a pris une grande place dans la fabrication du fromage aujourd’hui et c’est sûrement mieux, on évite des catastrophes, tout est aseptisé, bon il est certain que le goût d’antan n’est plus le même du coup ! C’est très administratif, pour vendre il faut l’agrément, il y a les contrôles qualité du lait, etc… - Quels défis avez-vous dû surmonter, particulièrement avec les tendances modernes et les exigences du marché ?
Tout d’abord le prix du lait qui n’augmente pas. Puis on a dû faire face aux nouvelles maladies qui apparaissent avec les caprices du climat, tout est déréglé, les mises bas sont décalées, c’est compliqué, il faut se réadapter chaque jour… - Où voyez-vous votre entreprise dans l'avenir ?
Je vais diminuer mon cheptel de brebis parce que ce n’est plus viable. J’ai planté de la vigne pour compléter mon activité. - Quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite devenir berger ?
Choisis un autre métier ! Non sérieusement il faut bien réfléchir, parce qu’aujourd’hui le métier de berger n’est pas fait pour s’enrichir, on est berger par passion : des animaux, du travail à l’air libre, mais il faut, je pense, avoir une autre source de revenus à côté. - Quel message désirez-vous transmettre aux lecteurs ?
Si vous voulez être sûr de manger du fromage corse, c’est -à-dire avec du lait de brebis ou de chèvre élevées en Corse, allez directement sur l’exploitation de petits producteurs. - Quel a été le plus grand défi de votre carrière et comment l'avez-vous surmonté ?
De reprendre seul au pied levé l’exploitation de mon père à 17 ans et d’être toujours là ! - Y a-t-il un moment ou une réalisation dont vous êtes particulièrement fier ?
De perpétuer la tradition de la transhumance - Pouvez-vous partager une anecdote ou un souvenir particulier qui symbolise votre expérience en tant que producteur de fromage ?
J’ai de belles anecdotes mais j’ai aussi un souvenir douloureux inoubliable. Alors que j’étais en montagne, un orage terrible a éclaté, impossible de mettre un pied dehors. Le lendemain mes brebis sont rentrées mais je les connais toutes, et j’ai vu qu’il en manquait. Je les ai retrouvées sur la crête, pétrifiées par la foudre : 25 de mes brebis étaient mortes.